Chapitre 1 : Art et Littérature.
Introduction :
Manifestations les plus visibles et les plus aisément reconnaissables de ce qu’on appelle communément la culture ; l’art et la littérature apparaissent généralement au premier plan lorsqu’on cherche à décrire une culture donnée. Etant donné que l’art s’adresse directement à la sensibilité et à l’émotion, il est plus immédiatement perceptible que d’autres aspects de la culture qui sont généralement plus abstraits (comme la philosophie ou le système de lois par exemple). Et généralement, lorsqu’on parle de Culture, c’est aux arts que l’on fait allusion. Ce n’est donc pas un hasard si la chaîne culturelle franco-allemande s’appelle « Arte ».
On pourrait s’interroger sur les raisons de cette prééminence de l’art sur les autres aspects de la culture. Pourquoi, lorsqu’on parle de la vie culturelle parisienne par exemple, ne parle-t-on que de théâtre, d’expositions de peinture ou de photographies, de concerts etc. et beaucoup plus rarement des fêtes religieuses ou républicaines ? C’est que, comme nous l’avons dit, l’art touche essentiellement la sensibilité et l’émotivité, il est directement perceptible et n’exige pas (a priori, mais nous verrons que ce n’est pas évident) d’effort intellectuel pour être appréhendé. Par exemple, je n’ai pas besoin de connaître le solfège pour apprécier une musique et la trouver belle, ni besoin de savoir peindre pour apprécier un tableau.
C’est là que réside tout l’intérêt et la puissance de l’art, dans sa capacité à véhiculer des impressions et des émotions de façon immédiatement compréhensible pour tous. « Le beau est ce qui plaît universellement sans concept » disait Kant dans sa Critique du jugement. C'est-à-dire que tous les êtres humains perçoivent la beauté lorsqu’ils la rencontrent et n’ont pas besoin d’une idée intellectuelle de la beauté pour l’apprécier.
Cependant, il s’agit là d’une vision relativement simpliste de la question de l’art. En effet, l’art ne se limite pas, loin s’en faut, à produire de la beauté et, pour apprécier une œuvre d’art contemporain, la perception immédiate ne suffit pas. Un grand nombre d’œuvres se fondent en réalité sur des concepts, sur des conceptions artistiques de ce que doit être une œuvre. Concepts techniques, CAD méthodes de production des œuvres comme le cubisme ou le pointillisme et concepts sémiotiques, CAD relatifs au sens de l’œuvre (comment représenter l’amour en peinture par exemple, va-t-on peindre Eros tendant son arc ou un couple enlacé ?).
Dans ce contexte, on doit considérer que la perception immédiate et la simple impression ne suffisent pas et que les œuvres d’art sont des objets conceptuels CAD des objets qui s’adressent aussi bien à notre intelligence qu’à notre sensibilité. Une œuvre d’art se lit au même titre qu’un texte, elle suppose la description, le commentaire et l’interprétation. C’est ce qu’on appelle la « Critique d’art », CAD le discours qui éclaire et qui dévoile le sens d’une œuvre, son intérêt esthétique, politique, poétique, religieux, etc.
Avant de faire des éloges ou des blâmes sur les œuvres (ce que les artistes supportent difficilement en général), la critique consiste surtout à y voir clair en matière d’art. Y voir clair aussi bien sur le plan du fond que sur celui de la forme, aussi bien sur le plan du sens que sur celui de la technique artistique.
Dans ce premier chapitre consacré à l’art et à la littérature, nous allons tenter de voir à travers un exemple concret (Gustave Moreau et la question de l’art) comment lire et décrypter plusieurs types de documents qui peuvent apparaître dans un devoir de synthèse (Essai, poésie et œuvre d’art).
I. Portraits d’artiste.
1. Quelques rappels historiques.
a) Zola, le réalisme et le naturalisme.
Le concept de réalisme fut un mot de ralliement dans lequel crurent se reconnaître tous ceux qui, inspirés
par Balzac, Stendhal et Flaubert, conçurent l’œuvre littéraire, ou plus généralement l’œuvre d’art dans un rapport nouveau avec le réel, qu’il soit naturel, historique ou social. Fortement influencé par l’idéologie dominante de l’époque (le positivisme bourgeois), et par les événements historiques qui désacralisent après 1848 l’idéal romantique, le réalisme substitue l’étude de mœurs à l’intrigue traditionnelle et l’étude de cas au romanesque psychologique du romantisme. Le réalisme vise une mimesis attentive, exhaustive et toutefois personnalisée des choses, du monde et de l’histoire à des fins utiles. Mais il finit par aboutir à une contradiction (avec les frères Goncourt notamment) entre le désir de parler de la réalité, et parfois des réalités les plus sordides, tout en faisant œuvre littéraire CAD de beauté. D’où le reproche de « misérabilisme » qu’on a pu faire à ce courant.
C’est en réaction à ces contradictions que se développera le naturalisme de Zola et de Maupassant. Zola (1840-1902) écrit en 1880 : « Le roman n’a plus de cadre, il a envahi et dépossédé tous les autres genres. Comme la science, il est maître du monde… La nature est son domaine ». Il s’agit donc de rivaliser avec la science, d’embrasser toute la nature. Les conditions historiques de l’époque (retour à la démocratie après le règne de Napoléon III), les conditions idéologiques (développement du socialisme et des sciences humaines) et même techniques (avènement du règne des machines), offraient au roman la chance d’être le vecteur le plus approprié à l’expression des nouvelles forces en présence. Inspiré par Darwin (mort en 1882) Zola est convaincu que la société est semblable à la nature et qu’elle est régie par les lois de la lutte pour la vie et de la sélection naturelle. La lecture des médecins de son temps (Cl. Bernard notamment) l’entrainent à considérer que le romancier doit avoir des buts et des méthodes similaires à celles des savants. Comme le médecin ou le biologiste, le romancier procède par observation puis par expérimentation. Cependant Zola ne se limite pas à un travail scientifique, il est aussi le créateur de véritables symboles de la modernité (la mine de Germinal, la locomotive de La bête humaine, les halles du Ventre de Paris), transfigurant en objets littéraires quasi épiques les réalités du quotidien biologique et social. Il est par ailleurs bien connu que derrière le naturalisme de Zola se cache un style épique digne d’Homère.
b) Gustave Moreau et le symbolisme.
Face à cette époque positiviste éprise de sciences exactes et de sociologie, il y a peu de place pour le
Mystère, l’inquiétude et la curiosité métaphysique qui sont condamnés ou traités par la dérision. C’est pourtant à ces thèmes que le courant symboliste s’attache à partir des années 1870, dans la continuation de l’œuvre de Baudelaire. Pour les symbolistes, notre monde n’est pas réductible à la matière, il est d’abord fait de représentations que nous en avons (inspiration de Schopenhauer) et des signes dont nous le jalonnons. A la limite, il n’est qu’apparence vaine. Le symbolisme est un courant idéaliste teinté de mysticisme (Mallarmé surtout) accompagné parfois d’anarchisme et de désespoir (symbolisme dit « décadent »). Sur le plan poétique, trois préférences définissent l’esprit symboliste : la préférence donnée à l’idée et au signe sur le réel ou la matière ; celle de la suggestion sur la représentation ; celle enfin donnée à la musique ou à l’harmonie sur la forme en tant que telle.
Gustave Moreau (1826-1898) appartient à ce courant. Pour lui, la peinture est cosa mentale , CAD chose de l’esprit, elle ne cherche pas à recréer sur la toile le spectacle de la nature, elle s'adresse d'abord à l'esprit et vient du plus profond de l'artiste. Moreau ambitionnait de créer une œuvre où l'âme pût trouver, selon ses propres mots : toutes les aspirations de rêve, de tendresse, d'amour, d'enthousiasme, et d'élévation religieuse vers les sphères supérieures, tout y étant haut, puisant, moral, bienfaisant, tout y étant joie d'imagination de caprices et d'envolées lointaines aux pays sacrés, inconnus, mystérieux. La peinture de Moreau doit faire davantage rêver que penser. Elle vise à transporter le spectateur vers un autre monde.
Par le choix même de ses sujets, Moreau veut s'abstraire des données du réel, du vécu. Esprit profondément religieux -sans être pratiquant- il considère que la peinture, miroir des beautés physiques, réfléchit également les grands élans de l'âme, de l'esprit, du cœur et de l'imagination et répond à ces besoins divins de l'être humain de tous les temps. C'est la langue de Dieu !
c) Marcel Proust.
Sensible et cultivé, Marcel Proust (1871-1922) partage le rêve symboliste d’une synthèse de tous les arts,
peinture, musique, architecture, littérature. Proust se réfère souvent à la peinture dans son œuvre, décrivant parfois au cours de longues pages telle ou telle œuvre. Il va jusqu’à concevoir un idéal de salut par l’art ; le réel ne nous est pas donné, il nous appartient de le recréer. La vision de l’artiste, qui enrichit l’univers d’une véritable dimension mystique, redonne à celui-ci « un prix infini ».
Selon Proust, la matière de l’art est fournie par les impressions passées de l’artiste. Ecrire c’est se souvenir. A partir de réminiscences d’évènements, de sensations vécues devenues en lui quelque chose d’immatériel, le créateur nous livre l’essence même des êtres, des lieux, essence « en partie subjective et incommunicable ». La sensibilité, l’imagination, le style de l’artiste comptent plus que les idées. Le sens de l’œuvre ne peut venir que de constructions complexes faites d’amplifications, d’annonces, de rappels, d’oppositions et de déformations du « réel ».
« Le style pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision » écrit-il. L’art a pour fonction chez lui de cerner les sensations et les sentiments à travers une approche sinueuse et longue qui ne sépare pas la forme du sens.
2. Questions de synthèse.
a) Analyse d’un extrait d’essai.
L’essai est consacré à l’expression directe d’idées par un auteur qui fait connaître ses réflexions, le résultat
de ses recherches ou de ses analyses dans un domaine particulier : économie, politique, sociologie, histoire etc.
L’essai ne raconte pas une histoire et ne relève pas du champ de la fiction. Il traite de questions abstraites, mais celui qui l’écrit part souvent de situations concrètes, d’observations, de faits, de constats, d’expériences, de données chiffrées. Ces différents éléments concrets conduisent à l’élaboration de théories, nourrissent la réflexion et mènent à des conclusions. Analyser un extrait d’essai implique donc de bien établir les relations de sens entre des données concrètes et les conclusions qui en découlent.
Le thème d’un extrait d’essai est identifiable à la présence d’un champ lexical dominant. Les problématiques abordées sont exprimées à travers des affirmations, des jugements, des prises de position qui suscitent des débats par leurs caractères contradictoires ou paradoxaux. Dans l’essai, celui qui s’exprime est l’auteur et non un narrateur. Il exprime et défend ses propres idées, mais, à travers de nombreuses références à d’autres ouvrages, il fait aussi connaître d’autres idées auxquelles il n’adhère pas nécessairement. Il peut donc y avoir plusieurs voix dans un essai, d’où l’importance d’identifier les propos et les idées qui appartiennent personnellement à l’auteur. Le lecteur y parvient grâce aux connotations, aux jugements, aux modalisations, à tout ce qui souligne des prises de position explicites.
Enfin les extraits d’essais sont généralement des textes argumentatifs ; il est donc important d’en déterminer la structure, les articulations logiques et les modes de raisonnement. Les temps et les modes verbaux donnent des indications sur les démarches mises en jeu : affirmations à l’indicatif, hypothèses au conditionnel, éventualités au subjonctif.
Face à un extrait d’essai, il s’agit donc d’identifier le thème, la thèse ou les thèses, la problématique et l’articulation logique du texte.
b) Analyser une œuvre d’art.
Sous des formes diverses, conçue comme une réalisation humaine, l’œuvre d’art est enracinée dans le réel, qu’elle représente, idéalise, déforme ou dépasse. Elle est porteuse de significations liées à sa nature, à son thème et à la sensibilité de son créateur.
De la même façon que l’essai, l’œuvre d’art a un thème identifiable lorsque l’œuvre est figurative et non abstraite. Le thème est reconnaissable soit à travers des représentations, soit à travers des symboles. Les éléments représentés font en général partie de l’environnement et regroupent des personnes, des paysages, des objets, des scènes de la vie… des composantes que précise en général le titre de l’œuvre, sa date permettant de le situer dans le temps.
A l’intérieur du thème global se révèlent des aspects particuliers sur lesquels les artistes ont mis l’accent. C’est la conjonction d’un thème et de différents procédés et choix de composition et de réalisation qui confèrent à l’œuvre son sens précis. Il est important d’être sensible au cadrage, à la disposition des éléments représentés, aux lignes, aux couleurs, aux contrastes, aux proportions, à la présence de figures diverses – métaphores, hyperboles -, aux références implicites ou explicites à de nombreux domaines relevant de l’histoire et de la culture.
Une œuvre d’art peut avoir pour finalité de représenter le réel à travers une sensibilité. Mais les effets qu’elle provoque et les émotions du spectateur montrent qu’elle a souvent d’autres vocations et qu’elle traduit différentes formes d’engagement et d’action : célébrer, dénoncer, faire prendre conscience. L’analyse d’une œuvre d’art implique qu’on la regarde en détail pour en déterminer le thème et le sens. Se découvrent alors des finalités qui permettent de la situer dans un contexte, de la rattacher à une esthétique et d’en mieux comprendre les enjeux. L’une de ses vocations importantes est de faire échapper au temps ce qu’elle représente.
c) Analyser un texte poétique.
Les textes poétiques ont des formes particulières : vers rimés, vers libres, poèmes en prose. Ils utilisent un langage original et des spécificités d’écriture à travers lesquels s’expriment des idées qu’il faut savoir identifier et reformuler.
Tout ce que les textes poétiques évoquent ou suggèrent repose sur des rythmes, des reprises sonores, des recherches d’écriture et de langage. L’expression des idées n’est donc pas directe : elle est le plus souvent métaphorique et imagée. Il faut chercher ces idées et trouver leur sens – parfois politique, sociologique ou philosophique – à travers des comparaisons, des symboles, des allégories et d’autres figures de rhétorique, qui évoquent des situations, des faits, transposent des réalités, expriment des sentiments et des émotions.
La forme versifiée et les nombreuses figures de rhétorique ne doivent pas constituer un obstacle à une lecture attentive qui définit de quoi il est question (thème principal) grâce au lexique utilisé, au sens des mots et à la récurrence et/ou à la mise en valeur de certains termes par leur place ou leur sonorité. Les problématiques, CAD certaines questions nées des relations entre les idées, sont perceptibles à la structure des textes, aux articulations logiques, à certaines figures (les antithèses notamment, CAD l’opposition de deux mots désignant des réalités opposées ; ex : Racine, Britannicus : « J’ose dire pourtant que je n’ai mérité, ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »), à l’opposition des réseaux lexicaux. La poésie les met en valeur de manière plus concrète et plus imagée que ne le font les textes d’idées. Le titre du poème et celui de l’œuvre peuvent aussi apporter des informations.
Ainsi, il n’y a pas d’incompatibilité entre les textes poétiques et les idées : ces textes utilisent les différentes formes de discours (narratif, descriptif, informatif, explicatif, injonctif, argumentatif), sont caractérisés par certains registres (lyrique, pathétique, épique, satirique, polémique, ironique ou comique), mettent en jeu différents systèmes d’énonciation (dialogue, fiction, texte d’idées). Leur analyse peut être facilitée par leur intégration à un corpus : en effet ils entrent alors en résonnance avec les autres documents, qui en éclairent le sens et attirent l’attention sur certaines idées essentielles.
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