samedi 6 octobre 2007

La non-existence du Mal chez Saint Thomas d'Aquin.


Comme Missel nous y invite, il semble qu'une méditation sur la non existence (ou la non substantialité) du mal s'impose. J'ai été surpris en effet de voir que la religion Baha'i reprenne cette thèse connue du christianisme; thèse tres intéressante qui a beaucoup été discutée depuis.
Je dois avouer que c'est une thèse que je ne connais pas tres bien, je vais donc tenter une petite étude que je laisse à votre appréciation.

Origine:

"Malum non est existens neque bonum". La thèse se formule ainsi chez Denys, dit le "pseudo Aréopagite", l'un des trois personnages historiques qui ont mené à la construction du personnage de Saint Denis ("Montjoie, St Denis, Que trépasse si je faiblis!" hurlé par Hugues de Montmirail dans le film, Les visiteurs).
Cette petite phrase latine ne nous dit rien d'autre que cela: Le mal n'existe pas.
(Référence: Pseudo Denys, Les noms divins, §19 sq)
Lorsqu'on regarde un petit peu le monde qui nous entoure, on peut se dire que c'est un peu fort de café que de dire des énormités pareilles à moins de les justifier avec des arguments béton.
Laissons la parole à Denys:
"... le mal ne procède pas du Bien, ou du moins, s'il procède du Bien, ce n'est pas en tant que mal. Ce n'est pas au feu qu'il appartient de refroidir ni au Bien de produire son contraire. S'il est vrai que tout être procède du Bien (car la nature du Bien est de produire et de conserver les êtres tandis que le mal les corrompt ou les détruit), il n'est rien dans les êtres qui procède du mal, et on ne saurait parler de mal absolu, puisqu'un tel mal se détruirait lui-même. S'il en va autrement, c'est que le mal n'est pas entièrement mal, mais qu'il participe en quelque façon au Bien et que bonne est la cause de tout ce qu'il possède d'être."

Ce texte est assez éclairant. Il repose sur un présupposé platonicien qui veut que le Bien (Soleil des Idées) soit la cause de l'être (CAD de tout être), thèse reprise par Lévinas au XXè siècle. Principe qui veut en outre que l'existence en elle-même soit un bien. Chacun peut se poser la question: qu'est ce qui est bien? que tout ce qui existe soit ou que rien ne soit?
Autre principe présupposé: tout être cherche son bien propre (Aristote), tout être cherche à perpétuer son existence (en se nourrissant, en protégeant sa vie, en se reproduisant, etc.), donc l'existence est un bien.
Plus tard, St Thomas ajoutera qu'il faut distinguer entre bien apparent et bien réel. Le fait que je fume par exemple constitue pour moi un bien apparent, mais ce n'est pas un bien réel pour mon corps.
NB: Pour traduire en langage religieux, il suffit de traduire "Bien" par "Dieu", c'est ce que veut dire Denys dans le fond.

Le mal chez Thomas d'Aquin:

Le docteur angélique se base sur Aristote et Denys pour appuyer la même conception: L'existence et la perfection de toutes choses sont des biens. Le mal, étant l'opposé du bien, n'a ni existence ni perfection. Je cite Gilson: "Le terme mal ne peut donc signifier qu'une certaine absence de bien et d'être, car l'être, en tant que tel, étant un bien, l'absence de l'un entraîne nécessairement l'absence de l'autre. " Le mal serait donc le "négatif" du bien en un sens quantitatif, CAD un moindre bien et non un mal pris comme un absolu; il n'a pas de réalité en lui-même, il n'en a QUE relativement au Bien qui est la seule réalité.
Quand je dis que je suis mal-ade, ou que je vais mal, c'est toujours par rapport à un état considéré comme la norme ou la référence, qui est le fait d'aller bien, d'être en bonne santé etc.
Le mal est toujours une privation par rapport à un état considéré comme naturel. Le fait pour un homme de ne pas avoir d'ailes ne constitue pas un mal, c'est naturel, mais pour un oiseau c'est un mal car il est dans sa nature d'avoir des ailes.
Donc si mal il y a, c'est toujours à cause d'une déficience. L'homme pris en lui-même est bon, mais il y a en lui une déficience, un moins de bien que ce que prévoyait le Créateur en le portant à l'existence; moindre bien lié au péché originel.
Du coup: petite Lapalissade: sans le Bien, le mal n'est rien, car le Bien est le seul support possible de l'existence et donc du mal. Si le mal en venait à détruire tout bien, il se détruirait lui-même. D'où le danger du nihilisme que dénonce Nietzsche...
Vu sous cet angle apparaît une conséquence gènante: le Bien est la cause du mal, car sans lui ce dernier ne saurait exister. Et donc se profile le risque (si on traduit Bien par Dieu) que Dieu soit cause du mal, ce qui est contraire à la foi.
La réponse de St Thomas à cette dangereuse objection est que le mal constitue un défaut, un moins, or ce moins ne saurait exister que là où il y a du plus et du moins. Or, Dieu est par essence étranger au plus et au moins de par sa qualité de parfait. Ce n'est donc pas Dieu qui est cause du mal, mais les créatures qui, pour leur part (en partant des anges, jusqu'aux êtres inanimés, et en passant bien sûr par l'homme) sont soumis au "règne de la quantité" CAD au plus et au moins.

Le mal, d'une certaine manière, est inhérent à tous les êtres qui ne sont pas parfaits comme Dieu est parfait, c'est une des raisons pour lesquelles il y a aussi de "mauvais anges". Mais même chez ces derniers, dit Thomas, le mal n'a pas de réalité propre, les "mauvais anges" ne sont que des anges déficients.

Conclusion provisoire:

Cette conception du mal a été sujette à de nombreuses discussions dans l'histoire, toutes liées à ce qu'on appelle traditionnellement le "problème du mal", problème classique s'il en est et qui consiste à peu près à demander: Si Dieu est bon et tout puissant, pourquoi le mal?
De nos jours, et depuis Kant qui a fait pas mal de ménage dans ce domaine, on ne pose plus le "problème du mal" proprement dit, mais l'esprit de cette question subsiste dans le problème de la liberté...

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DEA de Philo, longtemps intérressé par l'occultisme et les diverses religions, j'ai fini par revenir dans le giron du christianisme. Bien que non pratiquant, je me sens appartenir, par ma naissance et par ma formation, à la confession d'Augsbourg, CAD au protestantisme Luthérien. Ceci dit, et de ce fait, j'éprouve le plus vif intérêt pour les monothéismes en général. Je crois qu'avec la philosophie, peut s'entamer un dialogue, une communication saine que nous aurons à continuer sans relache pour affirmer notre désir de paix et de concorde sous l'égide du Seigneur.