mardi 10 novembre 2009

Homère, Odyssée



Dans ce texte est présentée l'une des ruses les plus connues d'Ulysse. Elle donnera son nom à un film: "Mon nom est personne"...

Ulysse. — Cyclope, un coup de vin sur les viandes humaines que tu viens de manger : tu verras la boisson que nous avions à bord ! C'est la libation que je voulais t'offrir, pensant que ta pitié nous remettrait chez nous. Mais ta fureur n'a plus de bornes, malheureux ! Penses-tu que, chez toi, jamais homme revienne, lorsque l'on connaîtra cette étrange conduite ?

Je disais ; mais, prenant mon auge, il la vida : quelle joie formidable à boire ce doux vin !... Il en voulut avoir une seconde fois :

Polyphème. — Donne encore, sois gentil ! et dis-moi maintenant, tout de suite, ton nom ! car je voudrais t'offrir, ô mon hôte, un présent qui va te réjouir. Sur cette terre aux blés, les Cyclopes ont bien le vin des grosses grappes, que les ondées de Zeus viennent gonfler pour eux. Mais ça, c'est un extrait de nectar, d'ambroisie !

Il dit et, de nouveau, je lui remplis son auge de vin aux sombres feux ; trois fois, j'apporte l'outre, et trois fois, comme un fol, il avale d'un trait !... Je vois bientôt le vin l'envahir jusqu'au cœur. Alors, pour l'aborder, j'essaie des plus doux mots :

ulysse. — Tu veux savoir mon nom le plus connu, Cyclope ? je m'en vais te le dire ; mais tu me donneras le présent annoncé. C'est Personne, mon nom : oui ! mon père et ma mère et tous mes compagnons m'ont surnommé Personne.

Je disais ; mais ce cœur sans pitié me répond :

polyphème. — Eh bie n! je mangerai Personne le dernier, après tous ses amis ; le reste ira devant, et voilà le présent que je te fais, mon hôte !

Il se renverse alors et tombe sur le dos... Bientôt nous le voyons ployer son col énorme, et le sommeil le prend, invincible dompteur. Mais sa gorge rendait du vin, des chairs humaines, et il rotait, l'ivrogne !

J'avais saisi le pieu ; je l'avais mis chauffer sous le monceau des cendres ; je parlais à mes gens pour les encourager : si l'un d'eux, pris de peur, m'avait abandonné !...

Quand le pieu d'olivier est au point de flamber, — tout vert qu'il fût encore, on en voyait déjà la terrible lueur, — je le tire du feu ; je l'apporte en courant ; mes gens, debout, m'entourent : un dieu les animait d'une nouvelle audace. Ils sonlèvent le pieu : dans le coin de son œil, ils en fichent la pointe. Moi, je pèse d'en haut et fais tourner le pieu... Vous avez déjà vu percer à la tarière des poutres de navire, et les hommes tirer et rendre la courroie, et l'un peser d'en haut, et la mèche virer, toujours en même place ! C'est ainsi qu'en son œil, nous tenions et tournions notre pointe de feu, et le sang bouillonnait autour du pieu brûlant : paupières et sourcils n'étaient plus que vapeurs de la prunelle en flammes, tandis qu'en grésillant, les racines flambaient... Dans l'eau froide du bain qui trempe le métal, quand le maître bronzier plonge une grosse hache ou bien une doloire, le fer crie et gémit. C'est ainsi qu'en son œil, notre olivier sifflait... Il eut un cri de fauve. La roche retentit. Mais nous, épouvantés, nous étions déjà loin.

Il s'arrache de l'œil le pieu trempé de sang. Il le rejette au loin, de ses mains en délire. Il appelle à grands cris ses voisins, les Cyclopes, qui, dans le vent de la falaise, ont leurs cavernes. Ils entendent son cri ; de partout, ils s'empressent. Ils étaient là, debout, tout autour de la grotte, voulant savoir sa peine :

le chœur. — Polyphème, pourquoi ces cris d'accablement ?... pourquoi nous réveiller en pleine nuit divine ?... serait-ce ton troupeau qu'un mortel vient te prendre ?... est-ce toi que l'on tue par la ruse ou la force ?

De sa plus grosse voix, Polyphème criait du fond de la caverne :

polyphème. — La ruse, mes amis ! la ruse ! et non la force !... et qui me tue ? Personne !

Les autres, de répondre avec ces mots ailés :

lE chœur. — Personne ?... contre toi, pas de force ?... tout seul ?... c'est alors quelque mal qui te vient du grand Zeus, et nous n'y pouvons rien : invoque Posidon, notre roi, notre père !

Aucun commentaire:

Membres

Ma tronche

Ma tronche
Après 15H de taxi brousse, à l'aube, à Madagascar...

Qui je suis? Dans quelle état j'erre? etc

France
DEA de Philo, longtemps intérressé par l'occultisme et les diverses religions, j'ai fini par revenir dans le giron du christianisme. Bien que non pratiquant, je me sens appartenir, par ma naissance et par ma formation, à la confession d'Augsbourg, CAD au protestantisme Luthérien. Ceci dit, et de ce fait, j'éprouve le plus vif intérêt pour les monothéismes en général. Je crois qu'avec la philosophie, peut s'entamer un dialogue, une communication saine que nous aurons à continuer sans relache pour affirmer notre désir de paix et de concorde sous l'égide du Seigneur.